Le Bleu, couleur d’âmes à nu : une exploration à Cannes 2025

Publié le 21 mai 2025 à 18:00

Le 78e Festival de Cannes a cette année révélé une belle cohérence dans l’usage de la couleur bleue, qui s’est imposée comme un véritable fil rouge, tant esthétique qu’émotionnel. Loin d’être un simple choix visuel, le bleu est ici une porte ouverte sur l’intériorité des personnages, vecteur d’émotions complexes et souvent paradoxales.
Morceaux choisis tirés des films en compétition et d’Un Certain regard.

L'une des deux affiches du 78e Festival de Cannes, toutes deux tirées du film Un homme et une femme de Claude Lellouch


The Chronology of Water - Kristen Stewart : le bleu de la résilience

`Pour son premier long métrage, Kristen Stewart signe une œuvre profondément intime, tirée des mémoires de Lidia Yuknavitch, où le bleu occupe une place centrale, notamment par son association au motif de l’eau, fil conducteur du récit. Le bleu évoque la piscine et la natation, discipline qui va permettre à la protagoniste (jouée par Imogen Poots) de s’extraire d’un milieu familial destructeur et abusif, mais aussi les lacs et la mer. Ces espaces aquatiques sont autant de métaphores de l’âme humaine, avec leurs ondes et vagues tantôt apaisantes, tantôt déchaînées.

Contrasté par sa couleur complémentaire, un orange presqu’aggressif qui illustre la violence de la vie de Lidia, le bleu traverse le film comme un souffle vital, symbolisant la douleur des traumatismes mais aussi la capacité de guérison. Dans les scènes baignées de bleu, la souffrance devient tangible, presque palpable, et pourtant, ce même bleu invite à une forme de renaissance. Le bleu est un refuge, un sanctuaire où la narratrice se confronte à ses blessures pour mieux renaître.


Die, my love - Lynne Ramsay : le bleu des tourments psychologiques

Le cinquième long-métrage de la réalisatrice écossaise met en images la fragmentation psychologique de Grace, jeune mère et écrivaine confrontée à la dépression post-partum au cœur d’une campagne loin de tout. La réalisatrice se rapproche ici de l’esthétique de ses premiers films, avec une palette de bleus pâles et autres couleurs froides, saturées toutefois. Ces tons illustrent l’aliénation mentale de Grace (Jennifer Lawrence), et son isolement alors que son compagnon (Robert Pattinson) l’abandonne à son nouveau rôle sans percevoir son mal-être. Grace se construit une sorte de refuge dans sa folie, pleine d’imagination et de beauté - une folie tantôt douce, tantôt violente.

La portée du bleu n’en est que magnifiée par le contraste avec des couleurs plus chaudes dans les moments de bonheur. Pourtant, même dans ceux-ci, le bleu n’est jamais loin ; on pense à la robe de mariée bleu dragée de Grace, dont le mariage qui s’annonçait comme une renaissance va finalement précipiter la chute. 


Alpha - Julia Ducournau : le bleu de l’exclusion et de la métamorphose

Dans Alpha, troisième long-métrage de Julia Ducournau, le bleu prend une dimension presque mystique. La jeune héroïne, marginalisée par une maladie qui la distingue, évolue dans un univers où les tons bleutés traduisent son isolement social et intérieur. Mais ce n’est pas un bleu froid et figé ; c’est un bleu chargé de promesses de transformation.

Julia Ducournau utilise cette palette pour symboliser une forme de passage, presque initiatique, où la souffrance devient une alchimie qui forge une nouvelle identité. Le bleu est ainsi à la fois une frontière entre la solitude et la communion avec soi-même, et un révélateur du potentiel de métamorphose.


Sound of Falling - Mascha Schilinski : le bleu de la mémoire et de la mélancolie

Deuxième long-métrage de Mascha Schilinski, ce drame allemand déploie le bleu comme la couleur du temps qui passe et des émotions qui en découlent. À travers les destins croisés de quatre femmes, le bleu incarne la mélancolie, la douleur sourde qui traverse les générations.

Le titre provisoire du film, The Doctor Says, I'll Be Alright But I'm Feelin' Blue, reflète cette ambivalence du bleu : il est à la fois le signe d’une tristesse persistante et la promesse d’une possible guérison. Le bleu dans Sound of Falling est un lien invisible qui unit passé et présent, une couleur qui enveloppe la mémoire familiale et les blessures qu’elle porte.


À travers ces quatre films, le bleu s’impose comme une couleur narrative puissante, qui va bien au-delà de sa dimension esthétique. Il devient un symbole à multiples facettes - refuge, isolement, transformation, mémoire - qui donne corps aux émotions les plus profondes et aux trajectoires personnelles les plus intenses. Cannes 2025 révèle ainsi, dans ces œuvres, la force évocatrice d’une couleur capable de porter à l’écran toute la complexité de l’âme humaine.

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